Oliver Hughes ♫ where words fail, music speaks

Naître dans l’une des plus petites villes d’Angleterre n’est pas la meilleure des choses pour un esprit rebelle, créatif et battant. Pourtant c’est bien à Rye, dans l’infinité campagnarde du Sussex, qu’est né Oliver, au sein d’une famille aimante. Tout petit déjà, tout était prétexte à la musique. Lui ne s’en souvient pas, mais les photos et les mots de ses parents et de sa sœur en témoignent. Maman, l’américaine expatriée par amour, se rappelle les yeux larmoyant de rire le jour où il a découvert que chaque taille de casserole émettait un bruit différent... En les faisant toutes tomber de l’étagère. Ils avaient retrouvé le gamin au milieu d’un beau bordel, une bosse sur la tête, mais tapant gaiement sur les ustensiles pour former une mélodie connue de lui seul. La musique, ça a au fond toujours été là. Oreille absolue, c’est apparemment comme ça qu’on appelle ça, qui lui permet de tout transformer en musique, notes qui dansent dans sa tête plus facilement que tout le reste, envahissent son être tout entier à chaque seconde de sa vie, le cœur qui bat comme un métronome. Violon minuscule sur le bras, à peine cinq ans mais la colère piquée à la sortie d’un concert à Londres a suffi à convaincre ses parents. Aucun musicien dans la famille, mais cela rend leur fils heureux... Pourquoi pas ? Aussitôt, c’est l’amour fou. Les notes deviennent mélodie, emplissent la maison du matin au soir, rendent le gamin plus heureux que jamais... Mais c’est facile, d’être heureux, quand on est aussi petit. Les problèmes, c’est après, que ça vient.  

Ça vient quand la musique prend le pas sur tout le reste. Quand les portes claquent parce que les décisions ne sont pas les bonnes, parce qu’il est le seul à ne pas vouloir faire d’études, à ne même pas vouloir passer ses GCSEs. Non. Lui rêve de Londres, de se sortir de ce trou paumé et de briller enfin, de ne plus être uniquement le premier violon de son orchestre si petit, mais d’intégrer un grand ensemble, le genre de ceux dont on peut être fier. Les problèmes, ça vient entre les bras de ce garçon, qui ne trouve pas grâce aux yeux de la famille, mais pour qui lui irait au bout du monde. Parce qu’il l’encourage dans ses rêves, lui dit qu’il l’accompagnera à Londres, qu’il l’aidera à devenir ce musicien accompli qu’il veut être. D’accord, il fume un peu, ce n’est pas vraiment du tabac, mais tout le monde le fait, non ? Et puis lui aussi essaie, et comprend. C’est agréable, toutes les sensations que ça provoque. Ça l’aide. A dormir, à manger... Ça l’aide, c’est utile. Et puis il finit par partir. Un dernier claquement de porte dans son sillage, il jure qu’il ne reviendra jamais, part pour Londres. Son amour avec lui, rien ne peut l’arrêter. D’accord, ils n’ont pas de diplôme. Ils n’ont pas de toit. Pas d’argent. Mais il a son violon, et une main dans la sienne. Qu’est-ce qui pourrait mal se passer, alors qu’ils sont tous les deux ?

Tout... À peu près tout. Parce que lui ne trouve pas de place, ne réussit aucune audition. Bouffé par le stress, jamais très présentable parce qu’il vit entre hôtels miteux halls d’immeubles, personne ne veut de lui. Il est doué, il a quelque chose, mais n’a jamais l’occasion de le montrer. Son amour, lui, a trouvé un emploi. Il ne lui dit pas vraiment ce que c’est, fait des mystères. Tant pis, il n’a pas besoin de savoir. Tant qu’ils arrivent à peu près à manger, tant qu’ils peuvent fumer le soir après une longue journée de refus... Mais bientôt ce n’est plus suffisant. Il lui met entre les mains autre chose, poudre blanche dévastatrice qui vole son âme en même temps que les dernières traces de sa créativité. La dépendance est presque immédiate, puissante. Ça dure longtemps. Des années. La musique s’envole, remplacée par une brume constante qui ne le pousse plus qu’à attendre sa prochaine dose. Il vole, même, parfois, pour se la procurer. Il rejoint son amour, qui bosse pour un dealer, se fait payer en came. La vie n’est plus qu’un brouillard, il n’a plus conscience de rien... Jusqu’à ce jour. Ce jour où il se réveille à l’hôpital. Overdose.

Il était seul dans la chambre d’hôtel, on le lui a confirmé. Sa sœur le lui a dit. Inquiète, sans nouvelle depuis des semaines, elle est partie à sa recherche. Dire qu’elle a été chanceuse serait un euphémisme, mais la chance, c’est surtout lui qui y a eu le droit. Si elle était arrivée cinq minutes plus tard, il y serait passé. Il demande après lui, se dit qu’il a dû s’inquiéter, qu’il est probablement là, à l’attendre dehors... Mais non. Il était là avant la dose quasi fatale, s’est tiré comme un lâche quand Oliver ne s’est pas réveillé, a emporté dans son sillage argent, bijoux... Et le violon. Corps meurtri, cœur brisé, il se jure de ne jamais plus faire confiance.

La convalescence est longue, il est accueilli à Rye par des sourires et des longues étreintes pleines de larmes qu’il est le seul à verser. Il est désolé, ne s’y laissera plus prendre, voudrait inverser le temps. Maman lui chuchote qu’il est toujours son petit garçon et le restera, caresse l’arrête de son nez pour l’aider à s’endormir, le soir, quand les crises de manque se font terribles. Personne ne lui en veut, tout est pardonné, il s’est suffisamment puni lui-même. Mais même une fois toutes les drogues éliminées de son système, même lorsque les crises n’existent plus, il se sent détruit. Il a donné plus de dix ans de sa vie à un homme qui ne l’a probablement jamais aimé, se retrouve seul malgré l’amour constant que lui donne sa famille.

La solution apparaît un jour dans les traits déterminés de sa sœur. Sa boîte lui propose un poste à New-York, elle a hésité mais elle le veut. Et elle l’emmène avec lui. Les billets sont réservés, une option posée sur un appartement. Ce n’est pas une question. En moins d’une semaine, ils posent le pied sur le territoire américain, qu’ils n’ont jamais vu mais dont leur mère leur a tellement parlé. C’est un nouveau départ qui s’offre à lui, et la poignée en cuir de l’étui de son nouvel instrument pèse presque une tonne dans sa main. Il se met aussitôt en quête de quelque chose de legit, plus question de tremper dans les mêmes sales histoires qu’à Londres, tout ça est derrière lui. C’est une petite école du Bronx qui lui donne sa chance. Les profs de violon qui sont prêts à travailler avec des gamins sans moyens, ça court pas les rues. Tant pis si son CV n’est pas le plus brillant qui soit, il sait faire parler les cordes et ça suffit largement.

Deux ans désormais qu’il est ici et son quotidien se dessine. C’est peut-être routinier, probablement l’ennui incarné pour certains, mais il préfère ça que l’incertitude. Il n’est pas très bien payé, mais le travail de sa sœur paie la majeure partie du loyer de leur grand appartement de Brooklyn, qu’il serait absolument incapable de louer seul. Il lui arrive de sortir, parfois, d’accompagner son aînée dans des soirées où il n’a rien à faire, mais où il se réjouit de la voir heureuse. Lui a encore du mal à se définir complètement heureux, mais il avance pas à pas. Chaque petite avancée loin de Londres, loin de lui, est au fond immense, maintenant qu’il se rend compte de l’emprise qu’il a pu avoir sur lui, sur sa vie. Il le sait maintenant, qu’il aurait dû écouter ceux qui l’entouraient, qu’un gamin de 15 ans avec un jeune homme de 21 n’était pas une bonne idée, qu’avoir un junkie pour premier petit-ami était la pire des erreurs... Mais on ne change pas le passé. Aujourd’hui, il avance. Et c’est au fond tout ce qui compte.