trigger warnings : troubles du comportement alimentaire
Né dans le sud de la France, Maxime a probablement connu l’une des enfances les plus heureuses qui soient. Élevé non loin de Bordeaux sur un immense domaine viticole, il gambadait entre les vignes et grimpait à dos de cheval, toujours accompagné de l’un de ses parents, d’un oncle, d’une tante, d’un cousin... Il n’était jamais seul. Vu la taille considérable de la famille de Faucigny, c’est au fond peu étonnant. Apprendre à compter les grains de raisin sur les grappes tout en découvrant comment en reconnaître les différentes sortes, apprendre à lire Pagnol dans l’immense bibliothèque, perché sur les genoux de Grand-Maman, apprendre l’histoire de la famille en même temps que l’histoire de France... Tout n’était qu’amusement et joie pour le petit garçon, qui ne comprenait pas encore à l’époque à quel point il était différent des autres. Ce n’est qu’à la fin de sa dernière année de primaire – passée dans la petite école du village où il connaissait tout le monde – qu’il s’en rendit compte.
Envoyé dans un collège privé loin de chez lui pour continuer son éducation, il vit avec un pincement au coeur ses petits camarades de primaire tous rejoindre le même collège public. Ce n’était pas tant le fait que ses amis lui manquent, mais plutôt l’idée de devoir s’en faire à nouveau, parmi des gens qui le laissaient tout à fait indifférent. C’est auprès d’eux qu’il comprit enfin ce qu’aristocrate voulait dire et pourquoi tout cela tenait tant à cœur à ses parents et grands-parents. Il dut mener une scolarité exemplaire entouré de gens provenant uniquement du même milieu que lui, les « mélanges » n’étant pas tout à fait bien vus. S’il n’avait aucun problème à suivre les cours et travailler afin d’être toujours parmi les têtes de classe, la sienne – de tête – était bien souvent ailleurs. Passionné de danse depuis le plus jeune âge, il avait réussi à convaincre ses parents de l’inscrire à un cours de classique dans son petit village, puis trouva le moyen de continuer malgré sa scolarité en internat. Bien vite, la danse devint sa seule et unique obsession. La musique des plus grands ballets résonnait sans cesse dans son esprit tandis qu’il tentait de créer des chorégraphies qui ne seraient jamais mises en scène.
C’est à 12 ans que sa première grande déception arriva, sous la forme d’un refus catégorique de son père de l’inscrire au Conservatoire de Lyon, où il avait pourtant été reçu en section classique. Il passa des nuits entières à pleurer dans le silence de sa chambre, avant de finalement prendre une décision. Si danseur n’était pas un métier digne de ce nom pour son vigneron de père, il lui prouverait qu’il était capable de se faire un prénom dans ce domaine, quoi qu’il en pense. Il aimait le domaine familial, les vignes, les chevaux, les espaces immenses, l’air frais et sa famille... Mais tout ça n’était pas pour lui. Lui n’avait qu’une envie : monter sur scène et danser. Il redoubla donc d’efforts et trois ans plus tard, son entrée en seconde se fit à l’école de danse de l’Opéra de Paris.
Admis sur dossier et après une audition plus que réussie, ses parents n’eurent d’autre choix que de reconnaître qu’il avait un avenir dans ce milieu. Commença alors la deuxième partie de sa vie. Fini de n’être qu’avec d’autres aristocrates du monde entier, il n’était désormais plus qu’entouré de danseurs partageant sa passion. Pas forcément des plus à l’aise en société, il réussit cependant à nouer quelques relations plutôt solides. Toujours à la recherche de la meilleure performance, des meilleurs appréciations, désireux de progresser à toute vitesse au sein de l’opéra – puisqu’arrivé parmi les derniers de sa promotion – les entraînements devinrent sa seule et unique obsession... Ou presque.
Son autre obsession, c’était son outil de travail ; son corps. Habitué à la bonne chère, il réalisa bien vite que c’était l’une des choses qui le freinaient le plus dans sa progression. Son corps devait être plus agile, plus léger. Sauter les repas devint une habitude, remplaçant d’abord son petit-déjeuner par un footing, puis son déjeuner par des bouteilles d’eau. Sans s’en rendre compte, son alimentation vira à l’obsession, calculant tout ce qu’il ingérait pour être sûr de ne voir aucun gras apparaître sur son corps. Il consommait juste ce qui était nécessaire au bon fonctionnement de son corps, ne prenait plus aucun plaisir à table, refusait le moindre aliment sucré ou gras. Les années passèrent et sa progression fut fulgurante. Repéré lors d’une production de l’école durant son année de terminale, il dut prendre une décision qui bouscula sa vie entière. Les discussions furent longues, pénibles, mais la fierté qu’il vit dans les yeux de son grand-père lorsqu’il annonça rejoindre le corps du New York City Ballet était la plus belle des récompenses. Si le patriarche approuvait, il était certain que son rêve se réaliserait.
Quelques semaines plus tard, à peine âgé de 18 ans, le petit français débarquait dans la Grosse Pomme, prêt à montrer tout son savoir-faire. Il lui fallut cinq années de dur labeur avant de se voir proposer le poste de danseur étoile, qu’il accepta sans même prendre le temps d’y réfléchir. C’était ça, la consécration. Ce même jour, il appela ses parents et il entendit pour la première fois de sa vie son père dire qu’il était incroyablement fier. Tout allait pour le mieux dans sa vie, il était enfin exactement là où il avait voulu être toute sa vie... Mais ce n’était pas encore assez pour lui. Maxime voulait toujours plus, être le meilleur. Il poussa son corps à bout, apprit des rôles toujours plus difficiles, gagna même le surnom de « toupie » en cours de route grâce au nombre de pirouettes qu’il était capable d’enchaîner. A 25 ans, ses problèmes avec la nourriture étaient à leur point le plus haut. Il ne mangeait plus rien d’autre que des fruits et légumes crus et buvait de l’eau en grande quantités pour couper la sensation de faim. Hors de question de se laisser distraire de ses objectifs par des choses aussi triviales.
C’est à peu près à cette époque également qu’un autre poste lui fut proposé. Professeur de classique pour l’une des plus grandes écoles de danse américaines : la Juilliard School de New-York. Cette fois, il lui fallut du temps pour trouver quoi répondre. Il gardait sa place d’étoile, bien entendu, mais l’idée était au départ de donner quelques classes de maîtres plusieurs fois dans l’année, lorsque son emploi du temps le lui permettrait. Il n’était cependant pas certain de savoir faire ce genre de chose et cela occupa longuement son esprit. C’est finalement sa petite sœur qui l’aida à prendre la décision, en lui assénant qu’il était idiot, qu’il ne perdait rien à tenter quelque chose et que cette proposition était en réalité un nouveau moyen de montrer qu’il était l’un des meilleurs. Il accepta donc et débarqua au conservatoire quelques mois plus tard pour donner son premier cours.
Finalement, devenir professeur lui plut énormément. Apprécié pour ses compétences uniques et sa maîtrise incroyable de son art, haï pour son côté tyrannique, il devint rapidement très demandé et plus seulement pour son nom. C’est également au conservatoire qu’il rencontra celui qui deviendrait son meilleur ami, professeur de hip-hop à la langue bien pendue, qui fut le premier à lui faire prendre conscience de ce qu’il s’infligeait. Grâce à lui et à de très nombreuses heures de travail et d’acharnement, Maxime réapprit peu à peu à manger normalement, à écouter à nouveau les signaux de son corps. S’il a aujourd’hui encore un peu de mal avec certains aliments, il travaille encore jour après jour pour tenter d’effacer des années de mauvais traitements auto-infligés.
A désormais 37 ans, Maxime est malheureusement proche de sa retraite de danseur de ballet. S’il lui reste environ cinq ou six ans avant de devoir faire ses adieux à la scène, sa compagnie lui propose de moins en moins de rôles, craignant une blessure. Le français a donc décidé de donner une plus grande place à son deuxième emploi, devenant professeur à temps complet à Juilliard et acceptant également quelques cours supplémentaires à la School of American Ballet. Il reste bien entendu disponible pour sa compagnie mais répète la plupart du temps ses rôles seul, dans les studios du conservatoire.