trigger warnings : Vulgarité + Racisme & Harcèlement scolaire + Propos misogynes + Propos grossophobes + Propos homophobes + Mention de harcèlement dans la rue
Ils sont quatre les enfants Al-Sayed. Un frère et trois frangines. Comme dans toutes les familles nombreuse, c'est bruyant, c'est vivant, c'est expansif. Comme dans certaines familles, c'est les femmes qui dirigent la maison. Père qui a décidé, au moment des noces, de prendre le nom de son épouse.
Autant dire que t'as pas connu ta famille paternelle. Famille fonctionnellement dysfonctionnelle mais fusionnelle. Les enfants se serrent les coudes. Le père et le grand frère traitent la mère et les trois filles comme des princesses. Là où dans la rue, l'on va dire que le père est investi, il a juste l'impression de faire ce qui est normal, aider sa femme à gérer la maison. Famille composée de la fierté d'un paon. Aujourd'hui ? L'aîné est un avocat très doué. La première née est peintre. La seconde née est directrice artistique.
Et toi, la petite dernière, t'as fait des études d'art, tu veux être tatoueuse mais à tes yeux tu brilles pas. Toi, t'es une misérable petite gamine qui ne sait pas quoi faire de sa vie, qui loue de la vidéo à la demande dans un commerce qui baigne encore dans les années 80.Soukaina, elle grandit dans une famille bancale qui hurle, qui se cri dessus mais derrière les injures, derrières les cris, les disputes fréquentes car tou.tes ont un sacré caractère, sans exception, il y a de la tendresse, de l'amour. La religion n'a pas grande place dans le foyer Al-Sayed. Chacun.e est libre d'appréhender sa vie tel qu'iel le souhaite. Famille saine qui fait pourtant peur au voisinage. Comprenez bien qu'autant d'enfant, avec des noms pareils, cela n'a rien à faire à New York. Soukaina, ça lui passe au-dessus, elle ne comprend pas, ce sont ses aîné.es qui s'en charge, de toutes les remarques, de tous les regards de biais. Sou', c'est la petite princesse, la petite dernière, c'est le joyaux qui a pourtant les mots les plus dégueulasse dans la bouche. Elle insulte comme une adulte, elle jure comme si elle était elle-même l'enfant de Juron. Elle ne fait pas attention dehors, à la maison, elle garde le filtre. Maman et Papa n'ont pas mérité la violence de ses paroles. Déjà petite, elle sait se démerder, elle est bagarreuse. Elle fait regretter les regards de biais à l'école. Elle frappe avant de réfléchir. Elle frotte le front de son camarade qui a voulu lui couper les cheveux contre le gravier de la cours de récréation.
Au collège, elle commence à se poser des questions. Qui est-elle. Au fond, elle ne sait pas trop. Parfois elle aime être très féminine, parfois on pourrait jurer voir un p'tit mec malgré son regard de biche. Elle se cherche. Elle ne sait pas qui elle est, ce qu'elle est. Sa crise de l'adolescence est relativement violente. Insultée pour son physique, pour son nom, elle se défend. Et c'est de sa faute.
Retourne à la cuisine. Elle dresse son majeur.
T'es moche, t'as grossi ? Elle lève les yeux au ciel et bouffe son dernier bonbon sans se poser de questions.
Toi aussi tu vas voler not' taf ? Elle fronce les sourcils sans savoir de quoi la personne en face parle.
Regardes pas ma meuf comme ça ou j'te pète la gueule. La réaction du corps de s'approcher, de sourire à la demoiselle et de partir, une nouvelle fois, offrant un magnifique
fuck. Et c'est ça souvent, pendant une grande partie de sa scolarité. Elle se défend chaque fois devant les autres. Mais le soir. Le soir, dans sa chambre, elle pleure. Le soir, dans sa chambre, elle regarde son ventre. Le soir, dans sa chambre, elle se demande si elle n'est pas malade. Le soir, dans sa chambre, elle remet sa vie en question. Le soir, à la maison, elle sourit à sa famille, elle fait en sorte que personne ne le sache. Mais être la petite dernière c'est aussi ne pas
pouvoir cacher ses soucis et ses tracas. Un soir, elle va se coucher et en allumant la lumière de sa chambre, elle trouve ses aîné.es sur son lit, les trois, avec le regard grave. Elle ferme la porte, fait mine de ne pas comprendre.
Sou', ça va ? et elle s'effondre en larme. Elle ne peut plus, elle n'a plus la force de cacher tout ce qui se déroule depuis le début de l'année. En larme, elle crache son venin, la petite dernière. Plus aucun filtre, elle laisse tomber, elle hurlerait presque si elle le pouvait, si elle n'avait pas peur d'alerter ses parents. C'est l'aîné qui se pointe à la sortie des classes pour mettre les barres sur les T et les poings dans la gueule.
Autant dire que ça calme tout de suite celles et ceux qui s'amusaient à t'en mettre plein la gueule.
Il faut trouver sa voie, se spécialiser, faire des études. Des grandes études. Il faut ? Pas vraiment. Passionnée par l'art en général, Soukaina se laisse la chance de sa vie. Elle décide d'intégrer l'école d'art. amatrice de dessin, un style déjà bien affûté sur ses petits croquis que personne n'a jamais vu - il faut dire qu'elle se trouve naze en dessin - mais elle veut y croire. Elle veut pouvoir se dire qu'elle a essayé. Débrouillarde la petite sans-tact, elle se fait un pote. Un meilleur pote même. Un mari d'université à ce stade. Un homme platonique. Elio, ce type est perché comme la lune mais ça l'amuse et elle l'aime pour ça. Potentiel seul homme, avec Minho, qu'elle a du présenter à sa famille. Elle, la nana qui ne jure que par les jouets et les courbes féminines, elle a présenter deux mecs à ses adelphes. Sou', elle a eu droit à quelques blagues de son aîné, il l'a taquine. Il sait que ce ne sont que des amis, sans doute ses deux seuls amis. Animal pourtant sociable la pas si petite Al-Sayed, elle n'accorde sa confiance qu'à peu de gens au fil du temps. Les remarques, parfois, continuent mais elle n'en a plus grand chose à foutre. Elle a apprit à montrer les crocs, à se défendre. A envoyer les autres chier. Sans aucune race.
Sale goudou ! mais au moins, avec elle, sa gonzesse prend son pied.
J'suis pas raciste mais- mais rien du tout Willy.
Fermes bien ta gueule, Willy. Et c'est comme ça tout le temps. Cela ne change pas. Il y a des cons de partout. Masi ces cons là, elle les contourne plus facilement, maintenant qu'elle a apprit à montrer les dents.
La petite blondinette, fausse blondinette, faut dire qu'elle est passée par toutes les couleurs de cheveux, faites par Elio, parce qu'elle lui a fait confiance. La petite blondinette, elle essaie un peu tout. Elle est caissière, elle rêve toujours autant d'ouvrir son salon de tatouage. Elle a réussi ses études, Sou' se trouve juste trop nulle. Il faut qu'elle apprenne à ne pas se déprécier, même si c'est dur pour elle. Elle fait face. Elle est fabuleuse, Soukaina. Elle est pétillante, elle est solaire, elle rit et sourit. Elle croque la vie à pleine dents. Sou', elle avance avec ce qu'elle a, donc pas grand chose mais des amis en or. Elle ne tient pas le job de caissière, faut dire que le BIP incessant est plus que chiant. Elle sort tard le soir, elle se fait accostée dans la rue. Elle râle, encore, la petite Al-Sayed avant de commencer à vouloir hurler. Dos contre le mur. Elle n'a pas vraiment peur, ses sens en alertes pourtant, le coup de genou part, la bombe au poivre de son frère lui sert pour la première fois. Dans les yeux, dans la gueule. Elle jure comme elle à toujours sur le faire, dans la langue natale de sa mère, avant de lui cracher dessus et de partir.
T'aimais déjà pas les hommes, mais là, c'est fini. Elle en garde un très, très mauvais souvenir. Soukaina se met à éviter cette rue, de nuit surtout. Parce qu'il faut faire attention. Elle enchaîne les petits boulots. Elle livre la pizza, elle est vendeuse de chaussures, elle ne tient rarement plus d'un mois ou deux. Sou', elle reste rarement lus longtemps que la période d'essai. Parce que ça l'emmerde, parce qu'on l'emmerde. Parce qu'elle est pas assez ceci, parce qu'elle est trop cela. Alors ça la gonfle. Et elle fini par trouver son petit boulot au videoclub. Elle y est employée depuis trois ou quatre mois, elle n'a pas compté la presque trentenaire. Elle s'épanouie, surtout dans cet univers qui pue la nostalgie.
T'as toujours autant envie d'ouvrir ton salon, tu sais juste pas voir ton art du même œil que les autres.