Elio Aramis Mercier ♫ Un trublion, un emmerdeur !

Tu as vu le jour en Été, le 27 Juin 1993 vers 6h du matin. Sans doute le seul jour de ta vie où tu as été à l’heure et matinal quelque part, franchement bravo. Parce que clairement c’est plus le cas maintenant. Ton père t’appelle Elio, en rapport à Hélios, le Dieu du Soleil, et ta mère elle, elle opte pour Aramis, oui, Aramis. Même toi tu ne comprends pas, pourquoi Aramis ? De tous les prénoms qui existent ? Tout simplement parce que ta mère adore Alexandre Dumas, et encore plus les Trois Mousquetaires, alors elle décide de te donner ce prénom. Elle aurait pu t’appeler Alexandre, ça aurait été mieux, mais non. Autant donner dans le ridicule ! T’es le petit frère de Grégoire, d’un an ton aîné. Et ta famille, elle est .. particulière. Ton père est libraire, un homme calme, tranquille, que tu n’as jamais vu s’énerver. Ton père, il a cette douceur constante avec lui, et c’est incroyable lorsque l’on voit sa carrure tu sais ? Parce qu’il est pas fin ton père, il est carré, il en impose, une porte de prison le bonhomme. Et pourtant, il est doux comme c’est pas permis, ce qui a toujours tendance à surprendre les gens au début. Puis il y a ta mère, et ta mère elle .. C’est encore autre chose. Complètement autre chose. Ta mère, elle a des jours où elle va bien, ou elle est souriante, elle rigole, elle est parfois semblable à une enfant, et puis il y a des jours ou elle ne quitte pas son lit, des jours ou un rien l’énerve, des jours où manger ne lui est pas possible. Mais ta mère, il n’y a pas un seul jour où elle ne vous aime pas, Grégoire et toi.

Votre enfance, elle est calme, Maman à des moments mais personne n'y prête attention plus que ça, c'est habituel chez vous, vous savez comment elle est Maman. Parfois, Papa doit aller la chercher quelque part parce qu'elle s'est perdue, parfois, elle se découvre des passions pendant quelques semaines, parfois, elle ne parle à personne. A l'école, ça va, enfin, tout dépend de ce que l'on peut dire comme étant "ça va". T'es un petit con, emmerdeur de première qui aime amuser la galerie au grand damne des instituteurs qui n'en peuvent plus. Ils mettent ça sur le compte d'un enfant turbulent, d'un enfant qui manque d'attention à la maison. Puis ça empire, en CE1 tu frappes un camarade pour une histoire de billes volées, la colère chez toi prend des proportions énormes, tu hurles, le mords et l'on doit te séparer de ton camarade pour comprendre ce qu'il se passe. Papa est appelé, et il prend peur. Papa au fond, il a peur que toi aussi tu fasses comme Maman, que toi aussi tu te retrouves à avoir ces problèmes d'humeur. Alors il cherche, il fouille sur Internet, essaie de trouver une solution, une explication au pourquoi du comment.

A 10 ans, ton père vous embarque tous dans un avion. Il a un moyen, une solution pour que Maman aille mieux, pour que tu ne finisses comme elle. Il a pas compris Papa, t'es pas comme Maman, t'es juste un gosse trop sensible, t'es un gosse qui se fait vivre par ses émotions et pas l'inverse. Il cherche pas à comprendre, Grégoire et toi vous êtes petits, trop pour comprendre que Papa, il a totalement lâché la rampe. Maman, elle tente de comprendre, elle essaie de lui faire entendre raison mais niet. Papa il répète qu'il peut trouver une solution, que ni elle, ni toi vous n'avez à subir ça. Subir quoi ? C'est quoi que vous subissez Maman et toi ? Grégoire comprend pas plus, mais vous ne dîtes rien, vous laissez Papa et Maman gérer, on laisse toujours les adultes gérer. Aux Etats-Unis, Grégoire devient Gregory, et toi tu restes Elio, t'as cette chance d'avoir un surnom qui peut servir de prénom. Tu deviens Eli pendant quelques années. L'enfance aux USA c'est l'Enfer, d'autant plus avec l'entourage que ce fait Papa. Il rencontre des gens, perds de l'argent pour un type qui file à Maman des médocs qui fonctionnent pas, qui la font dormir toute la journée. Papa, il s'enfonce dans des croyances diverses et variées qui font plus de mal que de bien.

Tu fais une majeure partie de ta scolarité à la maison. Parce que les adultes disent que t'es pas apte à aller à l'école, que t'es un danger pour toi, pour les autres, que toi, auprès d'autres humains, t'es un danger. On veut te faire comprendre qu'il faut entrer dans un moule, faire semblant que les émotions sont normales. On te demande, t'ordonne même avec une légère virulence de ne pas te laisser avoir par les émotions. Tu sais pas pourquoi, pourtant, tu fais rien de mal, tu sais pas gérer toi. T'es pas fait pour gérer mais pour te laisser embarquer par ce que tu ressens. Ca énerve, tu refuses d'écouter, d'obéir. On puni, on enferme, on te dit que de toute manière, ta mère et toi vous finirez seuls. Vous êtes pas le genre de personne que l'on aime. Finalement, tu finis par faire semblant. Pour pas qu'on te laisse seul, pour qu'on t'abandonne pas comme les adultes le disent. Ta frustration, ta peine, tout le trop plein, tout ressort dans le dessin, c'est un exutoire, c'est cathartique le dessin pour toi. Mais tout est en noir et blanc, les couleurs, elles existent pas dans tes dessins.

C'est au lycée que ça éclate. Parce que Dieu bénisse, t'as la possibilité d'aller faire ton lycée en présentiel, avec d'autres gosses et ton frère. Et ton frangin .. Il s'y est bien fait à la vie à l'américaine. La preuve en est, son accent ne s'entend presque plus là où le tiens subsiste. Tu parles toujours autant français avec Maman, quand elle n'est pas explosée de fatigue où que Papa l'accapare pas pour des thérapies à la mords moi l'nœud. Au début ça se passe plus ou moins bien, tu prends sur toi comme tu peux, si une émotion remonte trop fort, tu t'enfermes dans les chiottes en attendant que ça passe. Faut avoir l'air normal, comme tout le monde. Faut t'enfermer, parce que si t'es pas normal, tout le monde va partir. Puis un jour, ça dérape. Tu sais plus pourquoi, tu te souviens juste d'une colère sourde, d'une colère qui étouffe, qui éclate au détour d'un couloir. Y'as un peu de sang dans cette histoire, le sien et le tien. Il a le nez pété, t'as l'arcade en sang. sa lèvre est éclatée, la tienne également. Appels de vos parents, et ça empire à la maison. Ca empire auprès du Pater, auprès des autres adultes au milieu de vous. Ca empire au point où c'est Maman qui dit stop. Elle essaie de lui parler, de lui hurler d'ouvrir les yeux mais nada. Maintenant le paternel, il parle de punition divine, bah voyons. Tu savais que t'étais pas un cadeau mais quand même.

Maman elle fini par en avoir ras le cul. Alors, une nuit, elle vous choppe ton frère et toi et ciao. Vous vous barrez, loin, très loin. Vous changez d'Etats, elle se prend un avocat et le divorce est demandé. Les détails de cette histoire, tu t'en souviens plus et ça te va. Gregory redevient Grégoire à la maison, et votre vieux n'a plus le droit de vous voir. Vous finissez à New York, toi fraîchement sorti de lycée et ton aîné déjà en première année de médecine. Maman trouve quelqu'un d'autre, qui l'aide, qui lui donne envie d'avancer, d'aller mieux et toi tu trouves le dessin. En soit, t'as toujours eu le dessin dans la vie, mais c'est là que tu te rends compte que tu veux en faire un job. Etudes d'Arts lancées, tu recules pas. Première fois de ta vie où l'on te dit que c'est ok de sauter au plafond parce que t'as réussi une omelette. Que pleurer parce que la frustration est trop grande, c'est ok aussi. Tu te fais toute une bande de pote là-bas, personne n'a le même background, les horizons sont tous divers et variés et pourtant. Noyau central de ta vie même encore maintenant, vous ne vous lâchez jamais. Un pour tous, tous pour un.

Fraîchement diplômé, c'est que c'est long ce genre d'études à la con. T'as ton appart' que tu te paies avec tes illustrations, avec les cours que tu peux donner. Tu essaies de te faire plus sociable aussi et ça marche. Tu t'entends facilement avec les gens, t'as deux trois aventures mais jamais rien de concret, t'as tes potes, tes sorties le week-end, ta thérapeute avec qui tu progresses. T'as tourné la page, alors non, tu ne mets pas un coup de gomme sur ce qu'il s'est passé, tu pardonnes pas au vieux. Mais tu dessines quelque chose de plus clair, de plus coloré pour l'avenir. Parce qu'on manque jamais de couleurs dans la vie.