trigger warnings : Manque d'argent, difficultés de conception et infertilité, mention d'homophobie
Having a child with someone is the real bond.
Gabriel et Andrea Aguilar, ils se sont rencontrés quand ils étaient gosses. Ils ont été voisins, puis amis, puis meilleurs amis puis, tout naturellement, ils se sont mis ensemble. Chacun était le premier amour de l'autre, le genre d'amour de jeunesse auquel les gens ne croient pas nécessairement sur la durée, mais qui a fonctionné pour eux. Les années se sont enchaînées et d'un coup, ils étaient fiancés, puis mariés. D'après eux, ils ne leur manquait plus que des enfants mais, malgré les essais, rien ne fonctionnait. Au début, ils ont fait preuve de patience, mais ça n'a pas duré. L'impatience a laissé place à de l'inquiétude puis, malgré beaucoup d'hésitations, ils ont décidé de se tourner vers une clinique pour des examens. Le verdict était dur à entendre. S'ils ne pouvaient pas être considérés comme étant stériles à proprement parler, leurs chances de pouvoir concevoir un enfant naturellement étaient faibles,
très faibles. Alors ils ont réfléchi, ils ont pensé à l'adoption, à la fécondation in vitro, à tous les plans B possibles et imaginables, mais rien ne leur convenait, pas réellement. Alors ils ont fini par réfléchir au simple fait de ne pas avoir d'enfant, se disant que peut-être bien qu'ils n'étaient juste pas destinés à en avoir. Ils continueraient d'essayer, après tout les médecins avaient bien dit que ça n'était pas impossible à proprement parler, mais ils le feraient avec moins d'espoir, ne serait-ce que pour essayer de se protéger.
Mais malgré tout, j'ai pointé le bout de mon nez. Je ne connais pas tous les détails qui entourent mon arrivée dans la famille mais je sais qu'aux yeux de mes parents, comme aux yeux de certains médecins, le fait que ma mère ait pu tomber enceinte relève presque du miracle. Je doute que ça puisse vraiment faire de moi un miracle, mais d'après mes parents, si. Je ne peux pas prétendre me souvenir de mes premières années de vie, mais je sais pertinemment qu'elles ont été comme les suivantes, heureuses. Je n'ai jamais manqué d'amour, ni d'attention, sans pour autant que ça finisse par faire de moi un enfant pourri gâté, en grande partie parce que l'on ne roulait pas sur l'or. Je doute que mes parents puissent être considérés comme pauvres, mais on peut difficilement les considérer comme étant dans la moyenne non plus. J'ai appris à faire des concessions dès mon plus jeune âge, donnant une grande valeur à l'argent, prenant rapidement conscience que non, il ne poussait pas sur les arbres, pas vraiment. Je n'irais pas jusqu'à considérer que nous étions à plaindre, mais j'ai aussi conscience que mes parents m'ont probablement caché pas mal de choses sur ces années-là, en grande partie à cause de mon jeune âge et du fait que, techniquement, ça ne me concernait qu'indirectement. Malgré tout, j'aime me dire que je ne manquais de rien parce que c'est le cas, d'une manière ou d'une autre. Certes, je n'étais pas gâté au niveau matériel mais, malgré tout, j'étais gâté au niveau de l'amour et de l'attention que mes parents me portaient. Est-ce que dans le fond, ce n'est pas tout ce dont un enfant a réellement besoin ? A mes yeux, si.
And suddenly you just know… it’s time to start something new and trust in the magic of new beginnings.
Cette mutation, personne ne l'a vue venir. Mon père, d'un coup, avait dû parler à ma mère et réfléchir à un grand changement : un départ pour les Etats-Unis. L'entreprise ouvrait une antenne à New York et ils comptaient sur mon père pour aider à la mise en place et, sur le long terme, s'y installer. Le point important, c'est que ce n'était qu'une proposition, pas une obligation. Alors la famille a dû en parler et, par famille, je veux dire mes parents et mes grands-parents. Je n'avais que trois ans à l'époque de cette proposition, c'était une discussion qu'ils devaient avoir sans moi avant de m'en parler. L'idée de partir leur faisait peur, évidemment que ça leur faisait peur. Aucun d'eux n'avait vu autre chose que le Venezuela, alors tout plaquer et partir vivre dans un pays étranger et surtout, dans une ville aussi grande que New York ? Ils ont failli refuser, mais ils ont fini par décider de tenter le coup. Pourquoi ? A cause de moi. Ils avaient laissé traîner des prospectus sur la ville et m'avaient retrouvé avec certains d'entre eux dans les mains, des étoiles dans les yeux. Allez savoir pourquoi l'émerveillement d'un gamin de trois ans a fait pencher la balance, mais c'est arrivé. Mon père avait appelé son patron et accepté la demande de mutation. Quelques mois plus tard, du haut de mes quatre ans, je quittais l'endroit dans lequel j'étais né et je me dirigeais, sans le savoir, vers une ville qui deviendrait bien rapidement mienne et dans laquelle j'avais toute ma place.
Les premiers temps n'ont pas été faciles, ceci dit. Déjà, il y avait la barrière de la langue. Si mon père s'en sortait bien en anglais, ce n'était pas nécessairement le cas de ma mère, même si elle a tout fait pour s'améliorer avant de partir, histoire que ça se passe mieux sur place. C'est mon père qui a commencé à utiliser l'anglais dans nos discussions, le tout dans le simple but que je puisse apprendre la langue, ne serait-ce que petit à petit. Bon, ça parait vendeur dit comme ça, mais ça a pas été si simple. Malgré tout, j'ai fini par prendre mes marques et par me débrouiller, même si ça a pris du temps. Là où je bégayais et hésitais sur les termes à utiliser, j'ai fini par parler la langue de manière parfaitement naturelle puis, bien plus tard, j'ai carrément perdu mon accent. Je continuais de parler espagnol, ne serait-ce que chez moi, mais j'étais également parfaitement à l'aise en anglais. Mon intégration dans la ville s'est bien passée, tout comme dans ma nouvelle classe et, avec le temps, je me suis senti chez moi, genre vraiment chez moi. Ce n'était pas tant une libération, dans le sens où je m'étais toujours senti bien au Venezuela, mais ce que j'ai à peu près toujours ressenti à New York, c'est différent et, surtout, c'est carrément plus intense. Mes parents, ça leur a pris plus de temps et, de ce que j'ai compris, ils avaient songé à demander à ce que mon père soit remplacé mais, encore une fois, ils ont accepté de tenter le coup du long terme pour moi.
Passion sits in your heart and it's within you.
Mon intérêt pour le théâtre, la chanson, Broadway, tout ça tout ça, c'est arrivé très tôt, genre vraiment très tôt. Les seuls livres que j'acceptais de lire étaient ceux de théâtre. J'avais aussi un hobby, le dessin. J'en ai toujours fait d'une manière ou d'une autre, que ça soit avec des gribouillages ou en m'appliquant réellement. Ceci dit, je ne me suis jamais vu concrétiser quoique ce soit à ce niveau-là. Mes cahiers de dessin, à mes yeux, sont une forme de journal intime, ils contiennent des parties de moi que personne n'a pu voir, ou presque personne -mes parents ne comptent pas, évidemment-. Bon, après j'ai aussi ces carnets remplis de gribouillages et de textes, qu'ils puissent être chantés ou parlés mais ces carnets, pour le coup, personne ne pourra jamais les voir, y compris mes parents. Disons que c'est le niveau au dessus de mes carnets de dessin. Mais ouais, tout ça, ça a toujours été dans ma vie, le tout d'une manière ou d'une autre.
Du coup, mon inscription au club de théâtre de mon école primaire n'a pas été une surprise pour qui que ce soit, ni le fait que je continue dans celui de mon collège quand je suis arrivé en âge d'y être. Sur scène, j'avais tendance à être une nouvelle personne, à me laisser prendre au jeu de cette forme de jeu d'acteur. Si je me sentais déjà à l'aise dans la vie de tous les jours, c'était d'autant plus le cas sur scène. Encore aujourd'hui, je suis incapable de l'expliquer, mais c'est sur scène que je me sens le mieux. J'ai toujours eu de la facilité dans le fait de laisser Ruben dans les coulisses et de venir sur scène en tant que mon personnage, envers et contre tout. Mes parents ont toujours été mes plus grands supporters, d'ailleurs, ils n'ont jamais raté une seule de mes pièces, même si je n'y jouais qu'un rôle minime. Ils n'ont jamais pu me payer de cours, ce pour quoi ils se sont encore et toujours excusés, même si je ne les ai jamais blâmés, j'en étais incapable. J'ai toujours tout fait depuis chez moi ou depuis l'école, rejoignant tous les clubs possibles et imaginables.
What I remember most about high school are the memories I created with my friends.
Les années lycée, probablement les meilleures de ma vie, à la différences de ces dernières années, peut-être. Déjà, c'est là-bas que je suis enfin réellement devenu moi-même. Quand j'étais au collège, je m'étais fait une sorte de promesse, celle d'assumer mon homosexualité quand je passerai les portes du lycée. Ca n'a pas été facile, mais je ne m'étais pas attendu à ce que ça le soit. L'homophobie était là, bien présente, même si elle l'était moins que ce à quoi je m'étais initialement attendu, et ça m'a rassuré. Mes parents l'ont toujours su eux, ou en tout cas ils sont les premiers à qui j'en ai parlé et, par chance, ils ont toujours été très compréhensifs et surtout, n'ont jamais changé de comportement avec moi. Probablement que c'est aussi ça qui m'a aidé à sauter le pas au moment où j'ai passé la porte du lycée. Mais le fait de m'assumer n'a pas donné lieu à la moindre amourette, tout simplement parce que ça ne m'intéressait pas, ou en tout cas pas vraiment. Je préférais me concentrer sur mes cours -oui oui, même ceux qui ne m'intéressaient pas- et sur les heures supplémentaires que me donnaient les différents clubs dans lesquels je m'étais inscrits.
Oui,
les clubs. Du genre complètement incapable à choisir vers lequel me tourner, j'ai décidé de ne pas me limiter. Alors oui, ça m'a pris beaucoup de temps, genre vraiment beaucoup de temps, mais ça m'a ouvert énormément de portes, mais ça on y reviendra plus tard. Quels clubs est-ce que j'ai rejoint ? Celui de théâtre, bien évidemment, ce dernier étant une sorte de constante dans ma vie, mais aussi le glee club, qui me permettait enfin de pouvoir chanter autant que je le souhaitais et, apparemment, ce qui m'a aussi permis de m'améliorer. Pour finir, j'ai aussi rejoint le club d'art et le club d'improvisation. Alors bon, par contre, je ne gérais pas nécessairement les quatre en même temps. Typiquement, en première année de lycée, je n'étais que dans le club de théâtre et celui d'improvisation. En deuxième année, j'étais dans ces deux clubs, mais aussi dans le glee club. En troisième année, j'ai remplacé le club d'improvisation par celui d'art et, au final, j'ai préféré me concentrer sur le club de théâtre et le glee club pour ma dernière année. Ce n'était pas nécessairement des choix faciles à faire, mon attrait pour tous ces domaines rendant le tout particulièrement difficile, mais je ne voulais pas me retrouver à me noyer sous les responsabilités alors que les examens de fin d'année arrivaient, surtout à la fin du lycée.
There are more valid facts and details in works of art than there are in history books.
Au final, j'ai bien fait de rejoindre autant de clubs, étant donné que ça m'a permis d'obtenir une bourse pour pouvoir intégrer la
Columbia School of Arts. Sans que cela ne surprenne qui que ce soit, j'ai décidé de me diriger vers le cursus de théâtre, osant enfin m'accrocher un peu plus à mon rêve, décidant de définitivement me tourner vers ce domaine, le tout sans plan B. Enfin, si, techniquement, j'avais un plan B. Mon plan A, c'était rejoindre Broadway. Mon plan B, c'était de faire du théâtre, mais hors de Broadway. Donc au final, c'est plutôt le plan C, qu'il me manquait. Mais au final, rien que pouvoir aller dans cette école, c'était un rêve qui se réalisait, un rêve auquel je n'avais jamais osé croire. Pourquoi ? Tout simplement parce que mes parents n'auraient jamais pu me payer la totalité des frais de scolarité sur ne serait-ce qu'une année, alors sur trois ? Ca aurait été impossible, tout simplement. Alors j'avais toujours pensé que je devrais apprendre de mon côté, n'osant pas espérer que je pourrais suivre des cours enseigner par de tels professionnels. Alors j'ai suivi le programme de "licence" de théâtre, le tout en me spécialisant dans l'
acting, suivant les autres cours dans l'objectif d'en savoir plus sur le milieu, mais sans jamais me projeter dans ces derniers.
J'ai participé, quand c'était possible, aux différentes pièces de théâtre organisées par le programme, mais je dois dire que ça a été particulièrement plus difficile qu'au lycée. Là où l'on n'était pas nécessairement nombreux à s'intéresser au théâtre à l'époque, nous avions maintenant tous l'ambition d'en faire notre métier. La compétition était rude, tout comme la pression. Je ne compte pas le nombre de soirs -ou de nuits- que j'ai passés à rester debout, des scripts entre les mains, en train d'essayer de me débrouiller du mieux possible pour une des auditions que je voulais tenter. Et quand je voyais déjà la compétition qu'il y avait dans les spectacles organisés par l'université, autant dire que j'ai réellement commencé à prévoir un plan C pour la suite. Si c'était comme ça à la fac, alors ça serait pire quand je passerais de réelles auditions pour me faire une place sur Broadway. Si je n'avais jamais été trop sûr de moi considérant mon futur, c'était bien la première fois que j'avais
réellement peur.
The thing about Broadway, they always welcome you with open arms.
Ce n'était qu'en dernière année d'
undergraduate que j'ai commencé à oser me tourner vers l'extérieur, le tout sans réellement y croire. Ma bourse ne me permettrait pas de suivre les cours du master de théâtre et donc, j'avais plus que conscience du fait qu'il allait falloir que j'ose essayer. Mes premières auditions ont été terribles, soldées par des échecs, le tout causé par mon stress, au moins partiellement. La pression était là, la peur aussi, cette impression de pouvoir me retrouver sans rien étant suffisante pour me bouffer de l'intérieur. Si j'ai auditionné pour certaines pièces de théâtre présentes en ville et, surtout, à Broadway, c'est principalement vers les
musicals que j'ai décidé de me tourner. Quel meilleur moyen d'allier mon amour du théâtre et du chant ? Aucun, tout simplement. Le problème, c'est que les auditions se sont enchaînées, mais les refus également. Je me suis retrouvé diplômé et sans rien, devant me tourner vers un petit boulot de serveur dans un café. Hors de question de faire autre chose pour l'instant, je ne voulais pas abandonner mon rêve. J'avais continué d'enchaîner les auditions, osant enfin prendre confiance en moi et y aller en me disant que peut-être bien que je pourrais y trouver ma place et, avec le temps, ça avait fini par fonctionner.
J'avais 22 ans au moment où j'ai décroché mon premier rôle, un rôle plus que secondaire dans "Singfield!". Même si personne ne me voyait réellement et que je ne participais pas tant que ça, je pouvais enfin dire que oui, j'avais atteint Broadway. Je ne savais pas si le tout s'arrêterait là, mais bon sang que j'avais envie d'en profiter, alors je l'avais fait. J'ai passé un an là-bas, le tout jusqu'à la fin de mon contrat, puis j'ai tenté ma chance dans d'autres auditions. Le fait d'avoir réussi à monter sur scène pendant toute l'année avait suffit à me faire un peu plus gagner confiance en moi, mais je restais plein de doute. C'est, entre autres, le fait d'avoir obtenu un rôle dans "& Juliet" qui a fait que j'ai réellement commencé à y croire. Encore une fois, ce n'était qu'un rôle secondaire, mais ça restait un rôle malgré tout. J'y suis resté un peu plus d'un an, en sortant alors que je me rapprochais de mes 25 ans. Après ça, je n'ai pas attendu longtemps avant de me retrouver dans la troupe de The Outsiders et, pour la première fois, j'avais un des rôles principaux. Initialement, j'étais censé être dans un rôle secondaire mais, une chose en entraînant un autre, et je me suis retrouvé à remplacer un des acteurs principaux. Le tout avait été assez surprenant pour que je me retrouve à croire à un canular. Mais le moment où j'ai réellement cru à un canular c'est quand, un an plus tard, alors que mon contrat se terminait et que j'hésitais à le reconduire, mon manager -parce que oui, j'avais un manager, c'est fou hein?- me proposait d'auditionner pour Hamilton. J'y suis allé sans y croire, comment est-ce que j'aurais pu y croire ? C'était Hamilton, pas n'importe quel musical. Déjà qu'avoir trouvé ma place dans The Outsiders relevait, à mes yeux, d'un miracle, comment est-ce que j'aurais pu trouver ma place dans Hamilton ? Et pourtant, un soir, mon téléphone sonnait et, pour la première fois, je me retrouvais à avoir la sensation que j'allais tomber dans les pommes. J'avais été sélectionné et, après une seconde série d'auditions, je devenais officiellement le Marquis de Lafayette. Cela fait maintenant presque 6 mois que je me produis sur scène sous ses traits et, face aux revues particulièrement positives des critiques, pour la première fois, j'ose enfin croire au fait que peut-être, juste peu-être, j'ai trouvé ma place à Broadway.