trigger warnings : enlèvement, séquestration, mort violente, torture, deuil
Six enfants. C’est là la famille qu’ont fondée Grigoriy et Mila Sidorov dans le centre de la ville de Moscou. D’abord Aliocha, puis les jumeaux Aleksei et Natalia, Maksim, Yuri et enfin Mikhail. De beaux enfants, tous plus intelligents et vifs les uns que les autres, nés en à peine 6 ans. L’opulence était maître mot chez les Sidorov, bien que l’origine de la fortune familiale ne soit pas des plus honnêtes. Il ne fallut pas longtemps – à peine ses sept ans révolus – pour qu’Aliocha apprenne les ficelles du métier, comprenne que tout se jouait dans l’ombre. Dans les caves Moscovites, dans les arrières-salles des clubs pour gentlemen, dans certains couloirs sombres des palais communistes. Le changement de régime n’affecta en rien la richesse de la famille ni son mode de vie, puisque le gouvernement n’avait aucune influence sur les divers trafics du père.
Le premier déménagement eut lieu après la mort de Maksim. 10 ans à peine, personne ne sut jamais ce qui l’avait précipité dans ce si petit cercueil. Aliocha avait 13 ans, assistait à de nombreuses réunions déjà, apprenait peu à peu à bluffer, à ne jamais montrer les cartes dissimulées dans ses manches... Et tout ça n’avait rien à voir avec les parties de poker. Cela durait depuis des décennies, dans la famille. Grand-père, arrière-grand-père, les deux côtés de la famille avaient toujours versé dans l’illégal. Mais le décès de l’un des enfants les lança sur la route, d’abord en Suède, mais c’est là que l’accident de voiture arriva. Les jumeaux et Mila furent emportés. Grigoriy emmena donc ses trois derniers enfants et son deuil avec lui jusqu’en Italie, chez de lointains parents de sa défunte femme.
Partout où ils allaient, la Bratva les poursuivait. En Italie, elle finit par emporter Yuri. Pour autant, le paternel ne renonça pas aux affaires, s’endurcit encore et fit s’endurcir les deux fils qu’il lui restait. 18 et 13 ans au compteur pour les petits déjà tant endeuillés, qui apprenaient à vivre sans l’amour familial qui les avait toujours entourés. De moins en moins de bruit au fil des années, les sourires qui disparaissaient aussi vite que la joie. Aliocha prenait en responsabilité, apprenait à la dure. Il apprenait que les responsables de tout ça n’étaient autre que les ennemis de leur père, qu’il fallait les combattre et s’imposer partout dans le monde, pour venger et honorer leurs morts. Il tua pour la première fois avant même d’être majeur, vomit et pleura des heures durant, seul face à son action et ses mains ensanglantées.
L’arrivée sur le territoire Américain se fit bien évidemment à New-York, plus précisément à Little Odessa, chez des frères qui n’en étaient pas par le sang. Aliocha était habitué à avoir de la famille dans chaque pays du monde, savait que les bons mots prononcés dans la bonne langue pouvaient lui ouvrir toutes les portes fermées. Il n’avait que 20 ans, déjà plus de sang sur les mains que de nombreuses personnes, et la chose continua jusqu’à ses 25 ans. C’était le jour de son anniversaire, en plein été. Un regard croisé sur le trottoir alors qu’il attendait un petit dealer qui ne respectait pas assez ses engagements, des sourires échangés, et... Il était foutu. Il l’avait poursuivi, sourire et clope aux lèvres, avait marché à l’envers en lui parlant, s’était vendu autant qu’il le pouvait. Tout ça avait fini chez lui, sous ses draps, et il découvrit qu’il ne se sentirait jamais aussi vivant qu’entre les bras de cet avocat en devenir.
Arrivée précipitée, déménagement à Manhattan, explication donnée d’étendre le territoire de la famille, même si Gregoriy était loin d’être dupe. Il ne voulait que le bonheur de son garçon, cependant, et ne le retint pas. Au moins était-il toujours en vie. En parallèle de se retrouver bien rapidement à la tête d’une nouvelle branche, plus sous les ordres de son père, Aliocha reprit des études à distance, se lança à corps perdu dans l’écriture. Les années passèrent, il devint journaliste. Son nom était connu ailleurs que dans les arrière-salles sombres et il se rendit compte qu’il appréciait beaucoup tout ça. Transi d’amour pour son avocat, il comprit aussi qu’il n’avait fait que vivre dans l’ombre d’un héritage familial qu’il n’avait jamais désiré. Que la Bratva avait déchiré sa famille, son père le premier. Il voulut s’en détacher, décida de ne plus se salir les mains. Le premier avertissement ne tarda pas à venir. L’un de ses oncles, resté en Russie – vrai oncle, pas l’un de ceux qu’on lui imposait – décéda d’un genre de crise cardiaque inexpliquée et plus que suspecte. Alors il reprit les affaires, toujours dans l’ombre, dans le dos de celui qu’il aimait.
C’est dix ans après avoir trouvé ce regard pour la première fois qu’il le quitta avec perte et fracas. Promesse de rentrer au plus vite, de faire tout ce qui était en son pouvoir pour lui revenir en un seul morceau. Il ne voulait pas le quitter, mais il le fallait. Parce qu’il avait décidé de tout arrêter, avait claqué la porte... Et qu’une mèche de cheveux de Mikhail et sa chevalière – la même que la sienne – lui étaient parvenues, ainsi que l’un des doigts de son père. Il fallait tout arrêter, s’assurer que Christopher aurait la vie sauve, et prendre le premier avion pour Moscou.
2 ans pour faire le tour de la plupart des pays du monde, abattre deux douzaines d’hommes qui s’étaient mis sur son chemin, et puis le trouver. Trouver le cadavre de son père, utilisé comme appât pour parvenir jusqu’à lui. Il passa sept mois en captivité, attaché et torturé, les marques sur son corps se faisant légion pour tenter de le convaincre qu’on ne plaisantait pas avec la confrérie. Ses frères étaient devenus ses tortionnaires. Son frère, le vrai, le seul qu’il lui restait... N’était pas en danger. Du moins, pas tant qu’il ne disait rien. Parce qu’en réalité, il avait parlé à la CIA, était sous protection, et c’était pour ça qu’on l’avait fait venir, lui, jusque dans son pays de naissance. Pour retrouver le louveteau qui avait trahi la meute.
Une lumière un peu vive, les poignets libérés en les brisant, les jambes persuadées de filer tout droit sans jamais se retourner. Et puis un médecin clandestin, un vieil ami de son père qui saurait se taire, un aller simple pour les États-Unis... Épié de toute part, tant par ses anciens amis que les ennemis, par les diverses polices internationales aussi, probablement, à la recherche d’un frère qui avait peut-être trahi, mais qui était au moins toujours vivant, anonyme, mais bel et bien le cœur battant. Aliocha était de retour à la maison. Maison qui n'en était plus une. Les blessures physiques ont fini par être soignées, mais la tête et le coeur ne seraient jamais réparés. Parce que l'appartement était vide de toute présence, les beaux-parents tristes et en colère d'avoir dû enterrer leur fils qui n'avait rien demandé. Renié par tous, coupable involontaire de cet assassinat froid. Christopher n'était plus, il avait failli à tous ses devoirs. Il n'avait plus personne, plus personne hormis ce petit frère désormais inatteignable, protégé par une nouvelle identité.
Il lui aura fallu un an. Une année entière avant d'abandonner. Il ne retrouverait pas Mikhail, peu importe les efforts déployés. Retour à New-York penaud, où plus rien ne l'attendait. Nouvel appartement, nouveau quotidien à se terrer chez lui, peur au ventre d'attirer à nouveau la colère des frères et des oncles qui contrôlaient encore la ville. Et puis un jour, en passant devant vieille photo d'eux deux, une décision. La peur ? Plus jamais. Lui n'avait peut-être pas le courage de son frère, celui de donner des noms, de se rapprocher des autorités. Mais il avait une voix, une plume, et personne ne pourrait l'empêcher d'écrire. Longues heures passées presque dans le noir, lunettes sur le nez face à son écran d'ordinateurs. Pages écrites puis effacées, réécrites et envoyées à un vieil ami éditeur, puis demande rétractée, avant un appel décisif. Il fallait qu'il fasse attention, pouvait décider de changer certains noms, certains évènements... Mais ce livre devait absolument sortir.
Février 2024, six mois après la sortie de son premier livre, retraçant son enfance Moscovite et la fuite familiale au travers de l'Europe, le quotidien d'Aliocha a changé du tout au tout. Il a décidé de ne plus avoir peur, mais tout cela a un prix. Les noms donnés au fil des pages sont toujours vivants, toujours puissants, et tout pourrait arriver. Alors il est sous protection rapprochée, une voiture toujours en bas de chez lui, agents en tenues civiles qui ne le lâchent pas des yeux, garde du corps parfois juste à côté de lui lors de sorties publiques, couteau sous son oreiller juste au cas où. Véritable pavé dans la mare, son autobiographie a fait un bruit immense, s'est retrouvé en tête des bestsellers moins d'une semaine après sa parution... Jamais il n'aurait pu imaginer un tel succès. Il est seul, désormais. Seul survivant de la puissante famille Sidorov. Mais où qu'ils soient, il espère que les autres sont fiers de lui, fiers du courage qu'il arrive enfin à démontrer.