trigger warnings : Langage vulgaire, violence physique, féminicide, alcoolisme, haine, toxicomanie, misère, mort
Qui peut croire qu’en 2001, des futures mères crèvent encore? Qui peut croire également que des mecs se donnent le droit de tabasser leurs compagnes aux gré de leur humeur et que les flics laissent ça arriver simplement parce que la meuf a peur de porter plainte? On pourrait croire qu’un pays souvent nommé comme étant le “plus puissant au monde” serait civilisé, mais non. Dans les ruelles du Bronx, la misère et la crasse collent à la peau de plusieurs de ses habitants et ce n’est que la mort qui finit par leur offrir enfin un peu de paix. Beaucoup d’espoir d’une vie meilleure brille dans le regard des nouveaux arrivants et des enfants, mais se ternit rapidement au fil des abus et de la désillusion. Je ne viens pas du côté glamour de New York et la misère, je l’ai connu beaucoup trop tôt dans ma vie. Je vous parlais des futures mères qui crèvent et des connards qui les violentent. Ce n'est pas pour rien, c’est ainsi que commence ma propre histoire.
On doit reculer jusqu’au 1er janvier 2001, là où tout a commencé…Jamais je n’aurais dû naître, le 1er janvier. Ma mère attendait et préparait ma venue pour le 31 de ce même mois. Elle aurait dû avoir trente jour de plus pour se préparer physiquement et mentalement aux longues insomnies et à la tendresse criarde de son gamin, mais malheureusement, le destin en a décidé autrement. En fait non. Ce n’est pas le destin qui en a décidé ainsi, mais le bon à rien avec qui elle cohabitait à l’époque. Mon père, aux yeux de la génétique et de la loi. J’ai pas tellement de détails sur cet événement, juste quelques lignes dans une colonne d’un vieux journal et les maigres souvenirs de ma grand-mère sur ce que lui avait raconté son connard d’enfant. Mes parents vivaient dans une grande pauvreté. Mon paternel était un voyou peu doué qui s’amusait à voler des voitures pour un quelconque gang alors que ma mère s’échinait à bosser comme serveuse malgré son ventre beaucoup trop gros pour elle. Nanny (surnom affectueux que je donne à ma grand-mère depuis que je sais parler) m’a avoué que mon paternel n’était pas très sympathique avec ma mère, qu’il lui arrivait beaucoup trop souvent de la cogner lorsqu’il était furieux ou ivre. D’ailleurs, Nanny me raconta que maman avait pensée plus d’une fois faire une fausse couche tant cet incapable la frappait dans le ventre sans considération pour elle ou pour son futur gamin.
Le 1er janvier, il avait commencé à boire tôt. Trop tôt. Genre, il n’a jamais cessé de boire depuis la veille, en fait. Il n’était même pas midi, qu’il exigeait déjà que ma mère sorte dans le froid et le chaos des célébrations pour lui trouver de la bière ou de la Vodka. Je ne sais pas si elle a refusé ou si elle ne se bougeait pas assez vite à son goût, mais il en résulta qu’elle fut violemment tabassé par cet ignoble sac d’ordure humain, au point d’en être défiguré. Il la laissa pour morte dans l’appartement, sans appeler d’aide ou sans chercher à lui faire les premiers soins. Ce fut Nanny qui trouva maman ainsi et qui appela les secours, même si elle savait très bien que la famille n’avait pas l’argent pour payer les soins dont elle aurait besoin…mais il était déjà trop tard. Même si son corps était encore en vie, son cerveau lui, ne l’était plus. C’est donc d’une mère vivante sans l’être vraiment qu’on m’extirpa. Mon père, lui? Il ne fut accusé de rien puisqu’aucun témoin ne l’avait vu frapper ma mère et ce, même si Nanny témoigna contre lui -son fils- pour dire qu’il était violent avec feu Noella Montoya. Ce fut Nanny qui paya le BronxCare Health System et qui m’éleva du mieux qu’elle put, en dépit des visites de mon paternel qui me laissait toujours un peu plus traumatisé, amère, blessé et perdu.
Une enfance vécue dans la misère et la pauvreté n’est pas nécessairement synonyme de tristesse ou de malheur. On peut être heureux, même en ne possédant pas grand chose. Sincèrement, Nanny a toujours tout fait pour que je puisse être correctement vêtu et que je mange correctement. Parfois, je me couchais avec la faim au ventre, mais jamais au point d’en avoir mal. Je crois que j’aurais pu véritablement bien tourner si la présence toxique et néfaste de mon paternel ne m’avait pas constamment écrasé. Entre ses différents passages en prison pour divers délits, c’est chez Nanny qu’il vivait. C’est notre vie qu’il détruisait. Évidemment, il prenait soin d’attendre que ma grand-mère ne soit pas dans les parages pour me donner une raclée lorsqu’il était exaspéré par mon constant besoin de bouger et par mes rires d’enfants, mais mon corps et mon esprit en conservaient les marques de façon indélébile. Tout comme la haine qui enfla dans mon petit cœur innocent.
L’école devint rapidement mon lieu de culte, le premier endroit où je me sentais bien. Mes enseignants fermaient les yeux sur les nombreuses contusions et les hématomes qui décoraient régulièrement mon visage et mes bras, mais encourageaient mes éclats d’intelligence lorsqu’ils se déclaraient. Nanny m’encourageait à bien travailler afin que je puisse avoir un bon métier plus tard, mais mon paternel lui, s’amusait à me tourner en ridicule constamment. À plus d’une reprise, il déchira ou brûla mes cahiers d’écoles sous le coups de la colère et de l’ivresse.
“Bon à rien, merdeux, sale chien, petit monstre qui a tué sa mère…” Les surnoms qu’il pleuvait sur mon crâne au fil des années variaient et augmentaient de violences, tout comme ses coups. L’année de mes seize ans, j’ai décidé que j’en avais assez. Un soir où il fut particulièrement agressif, ce salopard de connard frappa Nanny pour la première fois et ce, devant moi. J’ai complètement disjoncté. Voir cette femme que j’aimais plus que tout au monde saigner par la faute de ce monstre fut la goutte de trop. J’ai disjoncté. Je lui ai sauté à la gorge, couteau à la main et je l’ai poignardé dans les côtes pour ensuite le rouer de coups de pieds chaotiques. Je ne savais plus ce que je faisais, je voulais juste qu’il souffre. Ce fut Nanny qui me fit revenir à moi, en me balançant un seau d’eau à la gueule. Déjà, les lumières rouges et bleues des voitures de police se répercutaient dans l’appartement. Un voisin les avait contactés à cause des hurlements et du boucan.
“Fuit” M’a-t-elle dit, sans aucune hésitation dans la voix.
Elle me poussa vers l’escalier de secours, alors que les agents de la paix tambourinaient violemment à la porte.
J’ai honte de l'avouer, mais j’ai obéi et j’ai fui.
Ce fut la dernière fois que j’ai vu mon père, ce jour-là. J’ai appris beaucoup plus tard qu’il avait passé à deux doigts de mourir. Est-ce que ça quasi-mort l’avait renvoyé dans le droit chemin? Aucune idée, mais je ne crois pas. Lorsqu’on est mauvais jusqu’à la moelle comme il l’était, on ne peut pas réellement croire que devenir un saint est possible. Nanny, quant à elle, me protégea comme elle l’avait toujours fait. Elle endossa la responsabilité de mes actes et s’accusa de la tentative de meurtre envers son propre fils, expliquant qu’elle avait agis par légitime défense. Elle fut si convaincante qu’elle hérita d’une seule année d’emprisonnement…à ma place.
J’ai commencé à me détester à cet instant. Je l’ai supplié Nanny de me laisser dire la vérité aux flics, mais elle refusa. Elle voulait me sauver du même destin que son fils, pas me pousser à suivre ses traces. Malheureusement, la culpabilité me poussa à quitter l’école et à consommer diverses drogues pour endormir mon esprit. Ce fut trois années d’enfer, où les paradis artificiels étaient la seule chose qui m’aida à me tenir debout et à ne pas trop penser à ce que j’avais fait. Après sa sortie de prison, Nanny me regarda m’auto-détruire avec une tristesse évidente, mais comme avec elle j’étais toujours le même gamin attachant, aimable et adorable qu’elle avait toujours connue, elle avait encore foi en mon avenir.
Elle en était bien la seule.
Ce fut une overdose après avoir consommé de la came coupée avec du fentanyl qui me fit reprendre ma vie en main. J’ai vraiment failli y passer, ce soir-là. Par chance, un bon samaritain m’injecta une dose de Naloxone (que l’on trouve gratuitement dans tous les centres de piqueries et les pharmacies du Bronx) et me permit de survivre jusqu’à ce qu’une équipe médicale prenne la relève. Faible sur ma civière que je n’avais même pas les moyens de me payer, c’est là que j’ai vu Nanny pleurer pour la toute première fois. Elle qui avait passé à travers tant de misère craqua à me voir, presque mort. Je lui ai donc promis que je mettrais fin à ma consommation de drogue et que je redeviendrais le “brave petit garçon” qu’elle avait élevé avec tant d’amour.
Le sevrage fut difficile et foutrement douloureux, j’dois l’avouer. À plusieurs reprises, j’ai passé à deux doigts de rompre ma promesse, mais au final, l’amour que j’éprouvais pour Nanny et ma volonté de faire sa fierté me fit surmonter mon addiction. Ça et la musique. C’est pendant l’un de mes longs sevrages, alors que mon corps se tordait de douleur que j’ai découvert que je possédais un certain talent pour le chant. Écrire des chansons m’aidaient à panser de vieilles plaies que je pensais guéries depuis longtemps. Oh bien sûr, je ne suis pas totalement rangé, je continue de voler afin de survivre à la misère des rues de New York, mais maintenant, je suis complètement clean et j’essaie de me développer une carrière en musique. J’ai promis à Nanny que le jour où je signerais mon premier contrat, je lui achèterais la maison qu’elle a toujours mérité sans jamais avoir. Évidemment, elle aurait aimé me voir avoir une carrière plus conventionnel, mais le simple fait de me voir redevenir le même grand gamin d’autrefois la rassura beaucoup.
J’ai essayé de découvrir l’identité de mon héros pendant des années, sans jamais rien trouver. Nanny souriait tristement lorsque je lui en parlais, mais ne disait rien. J’ai pris pour acquis que sa tristesse venait du mauvais souvenir, jamais je n’aurais soupçonné qu’elle pouvait avoir une racine toute autre. Ce fut seulement le jour de mon vingt-troisième anniversaire qu’elle confessa connaître le nom de celui qui m’avait injecté cette Naloxone et qu’elle ajouta que ce mec m’avait suivi pendant des semaines afin de veiller sur moi. Selon elle, mon père s’était trouvé une conscience en frôlant la mort et avait décidé de tenter de se racheter…
Putain, c’est une vraie blague!